Achat d'un bien immobilier : indivision ou SCI ?
Deux ou plusieurs personnes, qui souhaitent acquérir ensemble un bien immobilier, peuvent, pour l'essentiel, choisir entre deux cadres juridiques : un achat en indivision ou par le biais d'une société civile.
L'indivision a souvent mauvaise presse et, à sa rigidité, on lui oppose souvent la souplesse de gestion de la société civile immobilière. Pour beaucoup, l'indivision évoque les situations de blocage qui peuvent survenir en cas de décès ou lors d'un divorce, ce qui lui confère un caractère de situation subie. Parce qu'elle est la manifestation d'une volonté commune de plusieurs personnes qui s'associent, la société civile est présentée comme un cadre plus "paisible" de gestion et de relations entre les investisseurs.
Or, en pratique, l'indivision est loin d'être une situation exceptionnelle et subie, ne serait-ce que lorsque deux concubins ou même deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens achètent un logement ensemble. Quant au cadre juridique d'une société, il n'empêche pas les désaccords entre associés, les situations de blocage ou l'envie clairement affichée d'un associé de vouloir se retirer de l'affaire pour des considérations personnelles.
Depuis 1976, l'indivision peut être organisée par une convention : on parle alors d'indivision conventionnelle. Ce régime permet de compléter le régime de l'indivision légale qui est la situation de fait en dehors de toute convention. Pour autant, les notaires ou autres praticiens patrimoniaux l'écartent presque systématiquement dans leurs préconisations.
Quelles sont en pratique les principales différences entre les deux solutions ? Le tableau commenté ci-dessous compare dans les grandes lignes les principales règles applicables dans chacun des deux régimes. Pour faciliter la compréhension, nous avons retenu la solution de la société à prépondérance immobilière, constituée entre personnes physiques résidant en France. Elle peut être amenée à mettre en location nue le ou les biens qu'elle gère, ce qui lui permet de conserver son caractère civil, les loyers perçus suivant le régime d'imposition des revenus fonciers.
Création |
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INDIVISION |
Situation légale applicable par défaut, que l'indivision naisse de l'ouverture d'une succession, de la dissolution d'une communauté entre époux ou d'un acte volontaire d'acquisition par plusieurs personnes. Aucune formalité, aucuns frais, sauf établissement d'une convention par-devant notaire (dès lors que la convention porte sur un bien immobilier). |
SCI |
Comme pour toute création de société : rédaction des statuts (importance de la définition de l'objet social), immatriculation, publicité, déclaration fiscale d'existence et frais afférents à l'ensemble de ces démarches. |
»»» Le régime de l'indivision se met en place avec moins de formalités que pour une SCI |
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Durée |
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INDIVISION |
La durée de l'indivision est à la fois indéterminée puisqu'elle peut durer autant de temps que les indivisaires le souhaitent, et précaire, puisque chacun d'entre eux peut, à tout moment, demander à sortir de l'indivision. |
SCI |
Comme pour toute société : 99 ans maximum. Cela étant, le contrat de société prend fin au terme voulu par les associés dans les statuts ou par décision des associés. |
»»» Certes la précarité apparaît comme un point faible de l'indivision, mais doit-on pour autant, par le biais d'une SCI, contraindre ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants à rester ensemble ou conserver de façon collective un bien avec d'autres membres de la famille ou des tierces personnes pendant des décennies ? |
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Gestion : cadre général - droits et obligations des parties |
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INDIVISION |
Les règles de fonctionnement de l'indivision sont régies par les articles 815 et suivants du Code civil. Dans le cadre de la gestion du bien :
Un aménagement est possible par le biais d'une convention que les indivisaires peuvent établir (articles 1873-1 et s. du Code civil). Celle-ci peut être à durée déterminée (5 ans maximum) ou indéterminée. Sauf en présence d'incapables dans l'indivision (mineurs ou majeurs), les indivisaires peuvent convenir de déroger à la règle de l'unanimité, à l'exception de la vente de bien immobilier. |
SCI |
Les statuts rassemblent les règles de fonctionnement de la SCI et celles qui régissent les rapports entre les associés. La règle générale prévoit que les décisions sont prises à l'unanimité. Dans la pratique, les statuts fixent généralement des majorités qui facilitent la gestion :
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»»» La loi a assoupli les règles de majorité pour faciliter la gestion des indivisions, mais celles-ci restent encore trop rigides aux yeux de certains au regard de ce qu'il est possible de faire dans le cadre d'une SCI. En outre, l'inconvénient majeur pour l'indivision réside dans la présence d'un mineur (ou majeur incapable) qui peut fortement entraver la gestion courante de l'indivision, sauf si des dispositions conventionnelles sont prises pour empêcher cette "intrusion". |
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Gestion : mise en place d'une gérance |
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INDIVISION |
Choix d'un gérant Un indivisaire peut prendre en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part (mandat tacite). Son action se borne dans ce cas aux seuls actes d'administration, à l'exception de la conclusion ou du renouvellement des baux. Dans le cadre d'une convention de gestion de l'indivision, les indivisaires peuvent, à l'unanimité, nommer un ou plusieurs gérants. Celui-ci peut être l'un des indivisaires ou une personne extérieure à l'indivision. Le gérant a le pouvoir d'administration, lequel peut être restreint par la convention. Fin de mandat - révocation Le gérant pris parmi les indivisaires peut être révoqué par une décision unanime des indivisaires. Le gérant, qui n'est pas indivisaire, peut être révoqué dans les conditions convenues entre ses mandants ou, à défaut, par une décision prise à la majorité des indivisaires en nombre et en parts. Dans tous les cas, la révocation peut être prononcée par le tribunal à la demande d'un indivisaire lorsque le gérant, par ses fautes de gestion, met en péril les intérêts de l'indivision. |
SCI |
Choix d'un gérant Le gérant est désigné dans les statuts ou nommé par les associés dans un acte distinct. Il peut être l'un des associés ou une personne extérieure à la SCI. Sauf autre disposition, le gérant est nommé à la majorité simple. Le gérant prend toutes les décisions de gestion et d'administration. Les statuts peuvent prévoir de restreindre les pouvoirs du gérant. Fin de mandat - révocation Sauf dispositions statutaires contraires, le gérant est réputé nommé pour la durée de vie de la société. Ses fonctions prennent fin au terme du mandat prévu par les associés, ou par révocation, à la majorité simple (ou autre majorité si les statuts le prévoient). La révocation peut être demandée par voie de justice sous certaines conditions dans le cas où le gérant, également associé, a la possibilité, par son vote, de faire échec à sa révocation. |
»»» La possibilité de nommer un gérant confère à l'indivision conventionnelle un cadre de gestion analogue à celui de la SCI. Cela étant, le gérant d'une SCI peut disposer de plus de pouvoirs. |
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Gestion : formalités et frais |
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INDIVISION |
Frais de notaire pour la conclusion de la convention d'indivision (dès lors que l'indivision porte sur des biens immobiliers). Aucun formalisme de gestion sauf stipulation particulière indiquée dans la convention d'indivision (notamment, le gérant doit, une fois par an, rendre compte de sa gestion). Aucuns frais significatifs. Rémunération éventuelle du gérant. |
SCI |
Frais de rédaction des statuts, d'immatriculation et de publicité lors de la constitution de la société. La société doit vivre sous peine de voir l'administration la déclarer fictive, ce qui sous-entend assemblées régulières, procès-verbaux, établissement des comptes, etc. et frais inhérents à ces opérations. Rémunération éventuelle du gérant. |
»»» La gestion d'une SCI entraîne un certain nombre d'obligations et de formalités dont le coût annuel n'est pas négligeable. |
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Gestion : ce qu'il est possible de faire... ou pas |
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INDIVISION |
Occupation du bien immobilier Un indivisaire peut occuper le bien immobilier, à condition de verser une indemnité aux autres indivisaires. |
SCI |
Occupation du bien immobilier Un associé peut occuper le bien détenu par la SCI soit gratuitement soit en le louant au prix du marché. Acquisition - Financement Une SCI :
Mise en location Le bail donné par une SCI, régi par la loi de juillet 1989, est au minimum de 6 ans. Une SCI peut bénéficier du régime normal (bail de 3 ans) lorsqu'elle est exclusivement détenue entre parents et alliés au 4e degré. Il suffit d'un étranger ou d'un partenaire pacsé parmi les associés pour que la dérogation ne s'applique pas. La condition de reprise du bail pour pouvoir habiter le logement bénéficie aux seuls associés de la SCI, mais ne concerne pas leurs parents proches. Succession La protection du conjoint survivant au regard du logement familial (droit temporaire d'un an et droit viager) ne trouve pas à s'appliquer lorsque la résidence est la propriété d'une SCI. Protection du patrimoine Un entrepreneur peut difficilement inclure sa résidence principale dans sa déclaration d'insaisissabilité si celle-ci est détenue par une SCI. |
»»» Sur certains points touchant à la gestion de ses actifs, la SCI bénéficie de moins de facilités qu'un propriétaire en direct, même si tout ne lui est pas fermé. Par exemple, les associés d'une SCI ont accès aux dispositifs d'investissement locatif et aux divers crédits d'impôt dans l'immobilier. Il reste que les parts d'une SCI étant plus souples "à manier" que les actifs immobiliers qu'elle détient, des montages juridiques et fiscaux peuvent de ce fait être plus facilement opérés, argument souvent avancé par les conseillers patrimoniaux. |
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Protection du patrimoine vis-à-vis des créanciers |
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INDIVISION |
Les créanciers d'un indivisaire ne peuvent pas saisir le bien détenu en indivision ou les droits de l'indivisaire débiteur, mais ils peuvent provoquer le partage afin de récupérer leur dû dans la limite de la quote-part du débiteur. |
SCI |
Les associés sont tenus de manière illimitée aux dettes de la société à proportion de leur quote-part dans le capital social. A défaut de pouvoir réclamer le ou les biens immobiliers détenus par la SCI, les créanciers peuvent saisir les parts de la SCI afin de procéder à une vente forcée. Par ailleurs, tout projet de nantissement doit obtenir le consentement des autres associés. A défaut d'agrément, le consentement confère aux autres associés un droit similaire au droit de préemption en cas de vente forcée. |
»»» La SCI établit un écran de protection vis-à-vis des créanciers, alors que l'indivision peut être plus facilement mise en péril. |
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Fiscalité |
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INDIVISION |
Imposition des revenus Dès lors que le bien immobilier détenu par l'indivision est loué, chaque indivisaire déclare les revenus locatifs perçus proportionnellement à sa quote-part. Étant entendu qu'il s'agit d'une location nue, les loyers sont soumis au régime des revenus fonciers (application du régime micro-foncier possible). Imposition des plus-values sur cession des biens indivis Régime normal d'imposition des plus-values immobilières des particuliers. Chaque indivisaire est personnellement imposable proportionnellement à sa part dans l'indivision. Cession à titre onéreux des droits indivis En cas de vente de droits indivis, l'acquéreur est redevable d'un droit d'enregistrement au taux de :
Dans le 1er cas, le cédant est exonéré d'impôt sur la plus-value. Dans le second cas, l'éventuelle plus-value relève du régime des plus-values immobilières dans les conditions de droit commun. ISF Pour chaque indivisaire, sa quote-part fait partie de l'assiette taxable. La décote de 30 % au titre de la résidence principale peut être utilisée. Droits de donation et de succession Régime de droit commun. Pour les droits de succession, la décote de 20 % au titre de la résidence principale peut s'appliquer. |
SCI |
Imposition des revenus Dès lors que la SCI détient un bien immobilier loué nu (afin de lui conserver son caractère civil), chaque associé est personnellement imposable pour la part de revenu correspondant à ses droits dans la société. L'application du régime micro-foncier est possible sous certaines conditions (notamment celle de détenir par ailleurs, hors SCI, un logement locatif nu). Option possible pour soumettre la société à l'impôt sur les sociétés, mais option irrévocable. Imposition des plus-values sur cession des biens détenus par la SCI Régime normal d'imposition des plus-values immobilières des particuliers (du fait de la transparence fiscale). Chaque associé est imposable sur la part correspondant à ses droits dans la société. Cession à titre onéreux des parts sociales La vente de parts sociales d'une SCI est soumise à un droit d'enregistrement au taux de 5 % assis sur la valeur des parts diminuée des charges.
Pour le cédant, l'éventuelle plus-value relève du régime d'imposition des plus-values immobilières dans les conditions de droit commun, la durée de détention se calculant cependant à partir de la date de souscription des parts, sans tenir compte de la date d'entrée de l'immeuble dans la SCI. Plus-value imposable selon le régime des plus-values sur valeurs mobilières dans les cas où la société perd son caractère civil (SCI soumise à l'impôt sur les sociétés). ISF Pour chaque associé, les parts doivent être intégrées à l'assiette taxable. Une décote peut être appliquée (avec modération). La décote de 30 % au titre de la résidence principale peut être utilisée dès lors que la société est fiscalement transparente. Droits de donation et de succession Régime de droit commun. Pour les droits de succession, la décote de 20 % au titre de la résidence principale peut s'appliquer. |
»»» Sur le plan fiscal, les différences notables concernent principalement la cession des droits ou des parts. S'agissant de la SCI, la déduction possible du passif pour l'établissement du droit d'enregistrement peut être considérée comme un atout. Pour l'imposition des plus-values, la durée de détention, calculée à partir de la date d'acquisition des parts, et donc déconnectée de l'ancienneté de l'immeuble, peut en revanche engendrer de mauvaises surprises. Cela étant, comme sur le plan juridique, la division du capital en parts dans le cadre d'une SCI facilitent certaines opérations ou montages permettant de diminuer le poids de l'impôt, mais sous l'œil attentif de l'administration fiscale... |
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Retrait - Cession |
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INDIVISION |
Un indivisaire peut à tout moment demander à sortir de l'indivision, sauf si une convention d'indivision a été conclue pour une durée déterminée (dans ce cas, le partage peut être provoqué avant terme uniquement pour de justes motifs). Un indivisaire peut vendre ses droits. Il doit au préalable en informer les autres indivisaires, lesquels disposent d'un droit de préemption. Ce droit de préemption ne peut pas être invoqué dans le cas :
La convention d'indivision peut aménager ces règles de retrait et de cession des droits, sans toutefois supprimer le droit de préemption. À défaut d'accord entre les indivisaires, celui qui souhaite se retirer peut saisir le tribunal pour provoquer le partage. Dans certaines situations, le tribunal peut surseoir au partage pour une durée maximale de 2 ans, ou décider un maintien dans l'indivision pour une durée maximale de 5 ans ou une durée plus longue dans certains cas de figure. |
SCI |
Un associé peut décider de se retirer de la société. Cependant, une période de blocage des parts est souvent envisagée dans les statuts mais elle ne doit pas être dissuasive, sous peine de nullité. Le retrait volontaire ou la cession de parts (vente ou donation) est normalement soumis à l'agrément des associés, par principe à l'unanimité. Par exception, la cession de parts (vente ou donation) au bénéfice d'un ascendant ou d'un descendant du cédant n'est pas soumise à l'agrément des autres associés. Les statuts peuvent toutefois déroger à ces principes et prévoir des règles de majorité et d'agrément plus souples ou différentes (voire simple accord du gérant) selon le type de cession ou l'ampleur d'un retrait. En cas de blocage, un tribunal peut autoriser un associé à se retirer s'il justifie de justes motifs. |
»»» On oppose souvent la liberté individuelle, qui rend l'indivision précaire, à l'intérêt collectif qui serait le gage de pérennité d'une SCI. Cela étant, dans un cas comme dans l'autre, rien ne peut réellement empêcher la volonté pour l'un des participants de se retirer, à condition, bien entendu, de trouver acquéreur... Dans le cas de l'indivision, si la demande de partage par voie de justice est une opération longue et coûteuse, elle met clairement en péril la propriété sur le bien détenu. Mais du côté de la SCI, il faut savoir que l'article 1869 du Code civil qui autorise par décision de justice tout associé à se retirer de la société pour "justes motifs" est interprété de façon très large par la jurisprudence. Les autres associés seront tout aussi contraints de trouver une solution pour accompagner le retrait. |
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Transmission à la suite du décès |
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INDIVISION |
En cas de décès d'un indivisaire, ses héritiers entrent de fait dans l'indivision, sauf dispositions conventionnelles. |
SCI |
En cas de décès d'un associé, ses héritiers disposent de ses parts sociales, sauf dispositions statutaires spécifiques. |
En tout état de cause, tant dans le cadre de l'indivision conventionnelle que dans celui d'une SCI, l'association devra regrouper des personnes ayant vocation à s'entendre sur des objectifs communs.
Mettre un patrimoine immobilier important en société et élaborer des règles sur mesure, faciliter une transmission en rendant son patrimoine "plus liquide" tout en maintenant l'unité d'un ou plusieurs biens immobiliers sont les atouts mis en avant pour encourager la constitution d'une SCI. Cependant, la mise en société implique des contraintes qui ne sont peut-être pas nécessaires dans toutes les situations particulières et qu'il convient d'étudier avec attention avec un conseiller patrimonial.
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