Les droits du conjoint survivant sur le logement familial
Le conjoint appelé à la succession de son époux décédé bénéficie de deux droits pour conserver le logement familial – l'un temporaire et annuel, l'autre viager – et a priorité, en cas d'indivision avec d'autres héritiers, pour se faire attribuer la propriété de ce logement au moment du partage de la succession.

Au décès de son époux ou épouse, le conjoint survivant dispose de droits particuliers sur la résidence principale du couple qui lui permettent de rester dans les lieux et de conserver ainsi pour un temps son cadre de vie. Il a d’abord le droit de rester gratuitement dans les lieux pendant un an. Il peut ensuite bénéficier jusqu’à sa mort d’un droit d’habitation assorti d’un droit d’usage sur le mobilier du logement. Le conjoint survivant est également privilégié dans l’accès à la propriété de ce même logement au moment du partage de la succession.
L'année du veuvage : droit temporaire au logement
Le droit temporaire au logement, posé par l'article 763 du Code civil, offre au conjoint survivant la jouissance gratuite du logement familial et du mobilier le garnissant pendant les douze mois qui suivent le décès. Il peut ainsi rester chez lui, les frais liés à son occupation étant à la charge de la succession. Ce droit est d’ordre public, ce qui signifie que le conjoint survivant ne peut pas en être privé, même par testament du défunt. Il est également d’application automatique : le conjoint n’a pas à demander l’autorisation de rester dans les lieux.
Le droit temporaire reconnu au conjoint survivant est un effet direct du mariage, non un droit successoral. Par conséquent, le conjoint en bénéficie même s'il renonce à la succession. De même, le fait pour lui de se prévaloir du droit temporaire n’emporte pas acceptation tacite de la succession. Enfin, la valeur du droit ne s'impute pas sur sa part d'héritage. À ce titre, le conjoint ne doit aucune indemnité aux autres héritiers, ni pour l'occupation du logement, ni pour la jouissance du mobilier.
Bon à savoir |
Le remariage du conjoint dans l'année du décès ne fait pas cesser le droit temporaire au logement. |
Seule la résidence principale est concernée
Le logement protégé par le droit temporaire est celui qui est occupé à titre résidence principale par le conjoint à la date du décès. Le droit du conjoint n'est pas subordonné à une condition de vie commune des époux à l'époque du décès. La condition d'occupation est donc appréciée au regard du seul conjoint survivant.
La résidence secondaire exclue du droit temporaire |
Le droit temporaire est limité à la résidence principale. La résidence secondaire n’est pas protégée, même à titre subsidiaire. Le conjoint ne peut pas obtenir la jouissance gratuite de la résidence secondaire en remplacement de ses droits sur l'habitation principale. |
Le droit temporaire s'applique, que le logement appartienne aux époux, unis par un régime de communauté – sans distinguer selon les quotités possédées par l'un et par l'autre – ou par un régime de séparation des biens, ou qu'il fasse partie des biens propres du conjoint décédé.
Le droit temporaire s'applique également lorsque le logement était en indivision entre le défunt et une tierce personne. Par exemple, le logement appartenait pour un tiers au défunt et pour deux tiers à ses frères, ou pour moitié aux époux et pour moitié à leurs enfants. Dans ce cas, le conjoint peut rester dans les lieux pendant un an et l'indemnité d'occupation qu'il doit verser au tiers lui est intégralement remboursée par la succession, au fur et à mesure de son paiement.
Si le logement était loué, le droit temporaire au logement s'applique, que le bail ait été conclu au nom de l'un ou l'autre des époux ou des deux. Dans ce cas, les loyers qui doivent être acquittés par le conjoint survivant lui sont intégralement remboursés par la succession au fur et à mesure de leur paiement. En pratique, le remboursement est effectué par le notaire chargé du règlement de la succession, qui prélève sur celle-ci les liquidités nécessaires au vu des quittances établies par le propriétaire. En principe, le conjoint ne peut se faire rembourser que le loyer proprement dit, à l'exclusion des charges de l'immeuble. Le remboursement de la taxe d'habitation semble également exclu.
Deux cas d'exclusion
À l'inverse, le droit temporaire ne s'applique pas dans deux situations où la condition de propriété n'est pas remplie. La première concerne un logement dont le défunt était seulement usufruitier. L'usufruit prenant fin au décès de son titulaire, le logement ne se retrouve pas dans sa succession. La seconde restriction vise un logement qui serait propriété d’une personne morale (une société civile immobilière, par exemple), même si les époux sont seuls associés.
Régime fiscal |
Le conjoint n’est pas imposable sur la valeur de son droit temporaire. Il en va ainsi, d'une part, en matière de droits de succession, dont le conjoint survivant est totalement exonéré, et d'autre part, en matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), faute d’assiette. Le droit temporaire est dépourvu de valeur patrimoniale en raison de son caractère incessible et intransmissible. |
Après l'année du veuvage : droit viager d'habitation
Passé le délai d’un an, le conjoint peut demander à bénéficier sa vie durant d’un droit d’habitation sur le logement occupé par le couple à titre de résidence principale jusqu'au décès et d’un droit d’usage sur le mobilier le garnissant.
À la différence du droit temporaire, ces droits sont de nature successorale, non un effet direct du mariage. Ils ne sont pas automatiquement appliqués, le conjoint pouvant en bénéficier uniquement s'il en fait la demande et à la condition de ne pas en avoir été privé par le défunt. En outre, ils s'imputent sur les droits successoraux du conjoint survivant.
De l'imputation du droit viager sur les droits successoraux |
Le conjoint n'a pas à indemniser la succession si la valeur des droits d'habitation et d'usage excède sa part de succession. Dans le cas inverse, si la valeur des droits d'habitation et d'usage est inférieure à celle des droits successoraux en pleine propriété du conjoint, celui-ci peut prendre le complément sur les biens existants. |
Le conjoint qui souhaite manifester sa volonté de bénéficier du droit viager doit effectuer sa demande dans un délai d'un an à compter du veuvage, c'est-à-dire pendant l'année au cours de laquelle il bénéficie de la jouissance gratuite du logement. Aucune condition particulière de forme n'est prévue. En pratique, l'acte notarié doit être privilégié : il conserve la preuve de la demande et fait foi de sa date.
Bon à savoir |
Le conjoint n'a de véritable intérêt à effectuer cette demande que s'il hérite du quart, de la moitié ou des trois quarts de la succession en pleine propriété. S'il hérite de toute la succession en usufruit, il n'a pas besoin du droit d'habitation pour conserver la jouissance de son logement, puisque l'usufruit lui assure des droits plus étendus. S'il hérite de toute la succession en pleine propriété, la demande est sans objet. Cependant, il peut lui être recommandé d'exercer son droit pour se prémunir de la découverte éventuelle d'un testament l'excluant de la succession ou de la révélation, plus d'un an après le décès, d'un enfant d'un autre lit jusqu'alors inconnu qui viendrait le priver de l'usufruit. |
Les droits viagers qui peuvent être consentis au conjoint survivant ont le même champ d'application que le droit temporaire d'un an dont ils prennent la suite, sous deux réserves. Premièrement, si le logement était en indivision entre l'époux défunt et un tiers, le conjoint survivant ne peut pas prétendre au maintien dans les lieux passé le délai d'un an. En second lieu, si le logement était loué par les époux, le survivant ne bénéficie que d'un droit d’usage sur le mobilier compris dans la succession et garnissant le logement. Cela étant, les époux sont en principe cotitulaires du bail qui assure leur logement. À défaut, notamment s'ils ne vivaient pas ensemble, le survivant bénéficie du transfert du bail à son profit s'il en fait la demande.
L'exercice du droit viager est encadré
Les droits d'habitation et d'usage s'exercent dans les conditions prévues aux articles 627, 631, 634 et 635 du Code civil. En application de ces textes, le conjoint survivant doit, en premier lieu, exercer ses droits "raisonnablement". D'autre part, il ne peut ni céder ni louer ses droits viagers. Cependant, il peut donner le bien en location à usage d'habitation ou à usage professionnel pour se procurer les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d'hébergement si le logement n'est plus adapté à ses besoins : nécessité de trouver un logement plus fonctionnel, de se rapprocher de ses enfants, etc. Le conjoint est, en principe, seul maître à bord pour définir ses besoins. Le juge peut être saisi en cas de désaccord entre les héritiers sur l'appréciation de l'état de besoin.
Quid en cas de vente ? |
Lorsque le conjoint et les héritiers décideront de vendre le logement à un tiers, le conjoint ne pourra pas concourir à l'acte comme vendeur, même s'il est titulaire d'un droit réel, en raison de l'incessibilité de son droit. Le logement devra au préalable être dégrevé de ce droit au moyen soit d'une renonciation par le conjoint à son droit, soit d'une conversion de celui-ci en rente viagère ou en capital, la vente étant ultérieurement faite par les seuls héritiers. |
Enfin, le conjoint survivant est tenu des réparations d'entretien et du paiement des contributions comme un usufruitier, et ne contribue qu'au prorata s'il n'occupe qu'une partie du logement.
Bon à savoir |
En vue de protéger leurs droits et de garantir l'intégrité des biens soumis aux droits du conjoint, les héritiers "peuvent exiger qu'il soit dressé inventaire des meubles et un état de l'immeuble" (art. 764 du Code civil). |
Tant qu'il continue à vivre dans le logement, le veuf ou la veuve conserve le bénéfice des droits d'habitation et d'usage, même s'il se remarie.
Conversion possible du droit viager en rente ou en capital
Le conjoint et les autres héritiers du défunt peuvent passer une convention pour convertir en rente viagère ou en capital les droits d'habitation et d'usage. La conversion suppose un accord : elle ne peut pas être imposée au conjoint. S'il y a un enfant mineur ou un majeur protégé parmi les héritiers, la convention doit être autorisée par le juge.
Le conjoint peut être privé du droit viager
Le conjoint peut être privé par le défunt de ses droits d'habitation sur le logement et/ou d'usage sur le mobilier. Une telle disposition ne peut être prise que sous la forme d'un testament authentique, à savoir établi devant un notaire. Un testament olographe, c'est-à-dire écrit en entier, date et signé de la main de son auteur, serait inefficace en laissant subsister le droit au logement, même s'il déshérite par ailleurs totalement le conjoint.
Au moment du partage de la succession : droit à l'attribution préférentielle
Dès lors que le conjoint hérite d'une quotité en pleine propriété – par exemple, un quart de la succession – et se retrouve de ce fait en indivision avec d'autres héritiers du défunt, il peut demander au juge de lui attribuer lors du partage le logement qui constituait sa résidence principale au moment du décès, ainsi que les meubles qu'il contient. La demande peut porter aussi sur le véhicule commun du couple avant le décès. Un autre héritier peut faire la même demande, mais l'attribution préférentielle est de droit pour le conjoint. Par conséquent, en présence de demandes multiples portant sur le même logement, c'est en faveur du conjoint que le juge devra se prononcer.
Si le conjoint attributaire du logement doit payer une soulte aux autres héritiers (parce que sa part dans la succession est inférieure à la valeur du logement), il bénéficie à concurrence de la moitié de cette soulte d'un délai de paiement spécifique dans la limite de 10 ans. Sauf convention contraire, les sommes restant dues portent intérêt au taux légal pour les créances des particuliers (3,15 % au second semestre 2022).
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