PEA : vers la fin des dysfonctionnements ?

Le plan d'épargne en actions connaît un retour en grâce depuis quelques années, contrarié toutefois par un nombre croissant de litiges opposant les épargnants aux établissements bancaires teneurs des comptes. Résultat d'une concertation engagée en septembre 2022, l'Autorité marché des financiers (AMF) vient de formuler une quinzaine de propositions visant surtout à simplifier les processus de transfert, principal motif des réclamations formulées auprès du Médiateur de l'AMF, et à renforcer l'information du client.

Créé en 1992 dans le but de réconcilier les Français avec la bourse et les investissements en actions, le plan d'épargne en actions (PEA) reste prisé des investisseurs particuliers. Après une nette désaffection liée à l'éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, puis à la crise financière des années 2008-2012, l'encours global des PEA est repassé au-dessus des 100 milliards d'euros depuis 2020, contre 70 milliards au début des années 2010. La Banque de France dénombre aujourd'hui 5,2 millions de comptes-titres, contre 4 millions en 2008, mais encore loin des 7 millions avant l'explosion de la bulle spéculative en 2000.

Le PEA bénéficie d'un cadre fiscal avantageux [voir encadré ci-dessous] et "la loi Pacte" de mai 2019 a assoupli les modalités de fonctionnement en permettant les retraits partiels avant 5 ans sans clôture de plan, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Fiscalité du PEA

Les produits (dividendes, intérêts, plus-values, etc.) engendrés par les valeurs détenues dans le cadre du plan sont exonérés d'impôt sur le revenu, y compris de prélèvements sociaux, en totalité pour le cas général (à concurrence de 10 % seulement du montant des placements en titres de sociétés non cotées, pour les produits (sauf plus-values) procurés par ces placements).

En cas de clôture ou de retrait effectué plus de 5 ans après l'ouverture du plan, le gain réalisé depuis l'ouverture est exonéré d'impôt sur le revenu. À défaut, le gain est soumis à l'impôt sur le revenu (prélèvement forfaitaire unique de 12,8 % ou, sur option globale, barème progressif de l'impôt sur le revenu). Dans tous les cas, le gain est soumis aux prélèvements sociaux, au taux global de 17,2 %.

Si le plan se dénoue après 8 ans par le versement d'une rente viagère, celle-ci est exonérée d'impôt sur le revenu, mais soumise à 17,2 % de prélèvements sociaux.

Le transfert de PEA, premier motif de saisine du médiateur de l'AMF

Dans un contexte d'accroissement du nombre d'investisseurs individuels en bourse ces dernières années, de mobilité de la clientèle stimulée par une offre concurrentielle relativement active et de concentration du secteur financier avec le rachat de certains acteurs par d'autres ou de cession d'activité et de reprise de clientèle, les réclamations liées au PEA ont fini par doubler en 2021 et sont devenues le premier motif de saisine du Médiateur de l'AMF (28 % des saisines et 329 dossiers, contre 154 en 2020). Elles le sont restées pour la deuxième année consécutive, selon le rapport annuel 2022 publié début juin 2023s, avec une nouvelle augmentation de 10 % (362 dossiers).

Les deux tiers des dossiers de réclamation concernent le délai de transfert d'un plan en cas de changement d'établissement et les règles de blocage des arbitrages lors de ce transfert. Les conditions d'éligibilité des titres et l'impossibilité de rectifier une erreur d'exécution constituent d'autres écueils fréquents, selon le Médiateur de l'AMF.

Alerté par le Médiateur sur les difficultés rencontrées par certains épargnants, le Collège de l'AMF a mis en place en septembre 2022 un groupe de travail, constitué notamment de représentants des différents professionnels concernés (conservation de titres, banques traditionnelles et en ligne). Ayant identifié un certain nombre de difficultés techniques, celui-ci a formulé des propositions visant à simplifier les processus de transfert de plans. De manière récurrente, plusieurs de ses préconisations s'attachent aussi à renforcer l'information du client.

Harmoniser les procédures de traitement des transferts

Premier constat important du groupe de travail de l'AMF : les opérations de transfert se déroulent dans un univers organisationnel hétérogène, qui, selon les actions à mener, peut être manuel ou informatisé, avec des systèmes informatiques eux‐mêmes différents d'un établissement à l'autre en raison de leur historique et de leur organisation propre.

Il propose donc en premier lieu d'harmoniser les exigences administratives des établissements gestionnaires de PEA entre eux dans le cadre du traitement des demandes de transfert de PEA, "tout en respectant l'organisation interne et les politiques clients propres à chaque établissement".

Sur le plan fiscal, le groupe de travail formule trois propositions qui sonnent comme autant d'avertissements. Il a constaté, d'une part, que certains établissements n'utilisaient pas le bordereau d'informations fiscales élaboré par le Comité français d'organisation et de normalisation bancaires (CFONB) et ses notes explicatives. D'autre part, il a relevé que les systèmes informatiques de certains établissements prenaient tardivement en compte les dernières mesures fiscales, particulièrement en début d'année. Sur ces questions, le groupe de travail invite donc expressément tous les établissements à systématiquement utiliser le bordereau normalisé et à veiller au respect de la mise en œuvre des nouvelles normes fiscales dans les meilleurs délais au regard de leur date d'entrée en vigueur, afin de pouvoir garantir "une transmission automatisée et sécurisée des données du bordereau d'informations fiscales normalisé". "Ceci suppose un effort d'investissement supplémentaire pour chaque établissement", reconnaît le groupe de travail.

Il apparaît néanmoins que 80 % des transferts sont réalisés en moins d'un mois à compter de la demande de transfert du client pour un échantillon de grands teneurs de compte représentant les deux tiers des transferts de PEA. Il est toutefois demandé aux établissements gestionnaires de continuer à améliorer ce délai au cours des prochaines années.

Limiter la complexité des transferts liée à la composition du portefeuille

Parmi les difficultés techniques identifiées par le groupe de travail figure aussi la composition du portefeuille du PEA. Elle a, en effet, un impact direct sur les délais de transfert, si l'on prend en compte que le transfert d'un PEA ne peut être qu'intégral. Il suffit qu'une ligne de titres ne puisse être transférée pour que tout le transfert soit paralysé. Un tel retard peut ainsi être causé par la présence de titres étrangers, de titres nantis, de titres de société mise en liquidation, de titres de société non cotée ou encore par l'existence d'une opération en cours sur l'un des titres du PEA sans que le titulaire en soit à l'origine, tels que l'augmentation de capital assorti d'un droit préférentiel de souscription ou encore le versement de dividendes.

En pareille situation, le groupe de travail préconise un modèle commun d'information pédagogique à délivrer aux titulaires de PEA, « le plus en amont possible », afin de leur donner un maximum de visibilité sur l'impact de telles opérations au regard des délais du transfert du plan. Ainsi, dans le cas du nantissement de titres, le groupe de travail justifie cette proposition par le fait que le bon déroulement du processus nécessite une action de leur part, l'information délivrée au moment de la demande de transfert est donc indispensable.

S'agissant des titres non côtés, le groupe de travail propose une harmonisation de la liste des justificatifs à fournir et rappelle que seules les trois lettres échangées lors de la souscription des titres doivent être transmises entre établissements selon la réglementation en vigueur (lettre d'engagement fournie à l'organisme titulaire du plan par le titulaire du PEA, lettre adressée à la société émettrice par l'organisme gestionnaire et lettre d'attestation adressée au titulaire du PEA par la société émettrice normalement transmise à l'organisme gestionnaire du PEA).

Quid des titres de société faisant l'objet d'une liquidation judiciaire ?

Lorsque la situation se présente, le groupe de travail propose que les gestionnaires de PEA informent leurs titulaires que ces derniers ont la possibilité, depuis la loi PACTE de 2019, de sortir du PEA les titres de société en liquidation judiciaire sans conséquences défavorables en matière fiscale conformément à l'article L. 221-32- IV du Code monétaire et financier.

Réduire le blocage des arbitrages

Pour mener à bien le transfert, il est nécessaire à un instant donné de cesser toute opération sur les titres. Le groupe de travail a constaté que les établissements d'origine ne retenaient pas tous le même point de départ pour la date à partir de laquelle le titulaire du PEA ne peut plus procéder à des arbitrages. Certains établissements d'origine bloquent le PEA dès la réception de la demande de transfert, d'autres attendent la transmission du bordereau d'informations fiscales. Le titulaire du plan est généralement ignorant des règles usitées par l'établissement gestionnaire.

Par conséquent, le groupe de travail recommande que les établissements adaptent leur processus pour autoriser les arbitrages jusqu'à l'édition du bordereau d'informations fiscales. En outre, il propose aux établissements d'origine et d'accueil un "schéma-cadre" d'exécution permettant d'informer le titulaire du PEA des étapes du transfert et du point de départ du blocage de l'arbitrage.

Renforcer l'information du client

"Il faut faire œuvre de plus de pédagogie à l'égard des épargnants et leur donner une meilleure visibilité", affirme le groupe de travail qui juge, de façon générale, l'information délivrée actuellement par les établissements gestionnaires "perfectible, notamment s'agissant de certaines informations clés".

Evoqués précédemment, le document d'information pédagogique expliquant les différentes étapes du transfert et les potentiels points de difficulté liés au portefeuille – le groupe de travail a élaboré une fiche pratique à cet effet, en annexe du rapport –, de même que le schéma-cadre de traitement d'un transfert répondent à cette exigence de pédagogie.

D'autres pistes d'amélioration de l'information délivrée aux titulaires de PEA sont aussi proposées. Il est ainsi demandé, lors d'un transfert de plan, que les établissements d'accueil informent explicitement des éventuelles restrictions quant aux titres éligibles.

S'agissant spécifiquement des titres non cotés, le groupe de travail recommande que les titulaires de PEA soient davantage et régulièrement informés par les établissements des obligations découlant de la détention de tels titres.
 Outre que le groupe de travail propose de réduire les délais de réponse entre établissements en cas de demande de transfert incomplète ou imprécise, il demande à ces mêmes établissements "d'informer, dans les meilleurs délais possibles, le client sur le suivi de son dossier".

Par ailleurs, il est proposé que les établissements informent clairement les ayants-droit sur les conséquences fiscales et juridiques attachées au décès du titulaire d'un PEA, ainsi que sur les démarches à effectuer auprès des notaires. "Cette information de nature générale et pédagogique pourrait se trouver sur le site des établissements et être transmise aux ayant-droits identifiés par les services succession", précise le groupe de travail.

Possibilité de rectifier une erreur

Le groupe de travail souligne qu'en l'état actuel du droit aucune erreur dans la gestion du PEA ne peut être rectifiée. Exemple courant : le gestionnaire du PEA débite par erreur un compte espèces ordinaire au lieu du compte espèces du plan pour faire l'acquisition de titres demandée par son client. Le groupe de travail note que le problème relève entièrement du droit fiscal et se trouve, par conséquent, en dehors du champ de compétence de l'AMF. Partant toutefois d'un exemple de régularisation existant en matière d'épargne salariale ou d'autres figurant dans le Bofip [Bulletin officiel des finances publiques], il formule une proposition de modification législative en vue de créer une possibilité de rectification en cas d'erreur, que celle-ci soit commise par le professionnel ou par l'actionnaire individuel. La correction serait effectuée dans un délai bref, de l'ordre d'un ou deux mois.

Autre proposition de modification législative, relative aux BSA

Le groupe de travail de l'AMF recommande une modification législative (article L. 221-31 du Code monétaire et financier) élargissant la liste des éléments éligibles au PEA aux droits préférentiels de souscription - DPS (de sociétés cotées ou non cotées). Aujourd'hui, le titulaire d'un plan, recevant des DPS ou des bons de souscription d'actions (BSA) à raison d'actions inscrites sur son PEA, doit, dans certaines situations, les inscrire sur un compte‐titres ordinaire pour être en mesure de les exercer ou de les céder. En conséquence, les actions issues de l'exercice de ces droits ou bons seront nécessairement inscrites sur ce compte‐titres ordinaire. L'opération engendre des frais pour un nombre de titres parfois réduit. À défaut, les DPS ou BSA sont alors perdus, ce qui gêne la réalisation des objectifs de financement de l'émetteur.

Quelle suite ?

L'AMF entend faire un point annuel sur l'avancement des principales recommandations du rapport de ce groupe de travail, principalement celles relatives à l'harmonisation du processus technique de transfert entre les principaux intermédiaires concernés (points de communications avec le client sitôt la demande de transfert effectuée, échange automatisé des informations fiscales, réduction de la période de blocage des arbitrages). Le document d'information pédagogique remis par l'établissement d'accueil lors d'un transfert de PEA pourrait, lui, être généralisé d'ici à début 2024.

 

© Lefebvre Dalloz